Influenceur, dropshipper, youtubeur… et mineur ?

Quand j’étais plus jeune, j’entendais (souvent) dire que les enfants de ma génération étaient moins dégourdis que ceux de la précédente.

Est-ce que ce raisonnement peut être décalqué trente ans plus tard, alors que les jeunes maîtrisent bien plus vite les enjeux sociétaux, environnementaux et technologiques que leurs aînés, qui sont rapidement dépassés ?

J’en doute.

Et surtout, je vois que les plus jeunes sont prêts à se lancer au plus tôt dans la vie active, quitte à « griller » l’étape de la formation.

Les raisons ? Je ne suis pas sociologue (si vous le pensiez, vous vous êtes trompé de site !), mais la facilité d’accès au marché, la précarité, la maîtrise des outils numériques et la baisse de croyance en un futur radieux à la suite de longues études me semblent constituer des motifs suffisamment audibles.

Qu’en est-il pour les « petits frères » (comme dirait IAM), mineurs mais déjà prêts à faire des étincelles dans les métiers les plus « tendance » ?

Youtubeur (propriétaire ou animateur d’une chaîne de vidéos sur Youtube), influenceur (étendard de marques sur les réseaux sociaux), dropshipper (vendeur de biens sans stockage), start-uppeur (à l’origine d’une entreprise innovante), etc.

Plusieurs métiers semblent à leur portée et correspondent souvent à leurs envies immédiates.

Mais que dit la Loi sur la capacité des mineurs à entreprendre dans ces situations ?

Si les dispositifs les plus prisés sont ceux réservés aux plus petites entreprises, la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante est venue marquer une nouvelle étape dans la protection de tout entrepreneur, y compris le mineur.

A un niveau supérieur, la participation à une société reste envisageable, mais, en l’état actuel de la législation, demeure plus contraignante pour le mineur.

I. Un mineur, des mineurs ?

Un petit rappel de définitions s’impose : en France, un mineur est une personne âgée de moins de 18 ans qui ne possède pas encore la pleine capacité juridique.

Il en existe deux types :

  • Un mineur émancipé est affranchi de l’autorité parentale par décision du juge des tutelles, sur demande d’un parent au moins ou, à défaut, du conseil de famille. L’émancipation n’est possible qu’à partir de 16 ans. Un mineur émancipé est responsable de ses actes.
  • Un mineur non-émancipé, quant à lui, est soumis à l’autorité de ses parents ou à celle de son administrateur légal (si ses deux parents exercent en commun l’autorité parentale, chacun d’eux est administrateur légal. A défaut, l’administration légale appartient au parent qui exerce l’autorité parentale).

En tout état de cause, un mineur doit avoir au minimum 16 ans pour pouvoir exercer une activité professionnelle.

II. Entrepreneur individuel, auto-entrepreneur ou micro-entreprise :
le mineur à son compte

Vous avez forcément entendu parler de diverses formes d’exercice individuel d’une profession :

La principale nouveauté de ce nouveau statut d’entrepreneur individuel réside dans la séparation automatique entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur.

Le but est de protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel afin que ses créanciers professionnels ne puissent pas le saisir.

  • En répondant à diverses conditions (notamment de limite de chiffre d’affaires), l’entrepreneur individuel peut bénéficier du régime de la micro-entreprise (anciennement et toujours couramment dénommé le régime de l’ « auto-entrepreneur »), qui se prête à des activités de taille modeste et qui bénéficie de modalités adaptées (comptabilité et gestion quotidienne simplifiées, rapidité et facilité des démarches de création et franchise en base de TVA…).

Dans quelle(s) case(s) peuvent se trouver les mineurs ?

A.  Cas du mineur émancipé

Le mineur émancipé peut être entrepreneur individuel : c’est dit !

Il peut donc exercer une profession libérale non règlementée, artisanale, agricole et/ou commerciale : même précoce, en revanche, il ne peut être ni notaire, ni avocat !

Mais, attention : le mineur émancipé qui souhaite effectuer des actes de commerce (par exemple : l’achat de marchandises) et de disposition (par exemple : l’achat ou la vente d’un fonds de commerce), doit obtenir l’autorisation du juge des tutelles lors de sa demande d’émancipation ou du président du tribunal judiciaire si l’émancipation a déjà été accordée (article 413-8 du Code civil et article L. 121-2 du Code de commerce).

En revanche, il peut réaliser seul les actes d’administration (par exemple : l’ouverture d’un compte bancaire) nécessaires à la création et à la gestion de son entreprise.

Il peut également opter pour le régime de l’auto-entrepreneur,  Il n’a pas besoin d’avoir l’autorisation de ses parents.

Il est alors soumis aux mêmes règles d’imposition qu’un auto-entrepreneur majeur :

  • Il a l’obligation de déclarer son chiffre d’affaires et de remplir son avis d’imposition ;
  • Il peut choisir le versement libératoire de l’impôt sur le revenu ; et
  • S’il ne dépasse pas les seuils de TVA, il peut être en franchise de base de TVA.

B. Cas du mineur non-émancipé

Avant la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, le mineur non émancipé disposait d’une fenêtre étroite pour exercer une activité entrepreneuriale : il pouvait créer une Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL).

Par cette seule voie, il pouvait adopter le régime de l’auto-entrepreneur.

Depuis la réforme, qui a supprimé les EIRL, la fenêtre s’est fermée : le mineur non-émancipé ne peut plus être entrepreneur individuel et donc, a fortiori, il ne peut plus avoir de micro-entreprise.

Il est toutefois précisé que les mineurs non-émancipés qui ont créé une EIRL avant la suppression de ce statut, peuvent continuer à exercer dans les mêmes conditions.

Ainsi, si un mineur non-émancipé hérite d’un fonds de commerce, il ne peut pas l’exploiter. Dans ce cas, il doit le vendre, l’apporter à une société ou le donner en location-gérance. Ses parents peuvent aussi l’exploiter personnellement grâce au droit de jouissance légal des parents sur les biens de leurs enfants de moins de 18 ans.

III. Associé et/ou dirigeant
d’une société commerciale :
le mineur a son conte !

Passer en société, c’est le conte de fées accessible pour tout mineur. Toutefois, là encore, il faut faire quelques distinctions selon qu’il y a émancipation ou non.

A. Cas du mineur émancipé

Un mineur émancipé peut être associé et dirigeant de sociétés dans lesquelles les associés n’ont pas la qualité de commerçants.

Ainsi, un mineur émancipé peut être associé ou dirigeant d’une Société Anonyme (SA), d’une Société à Responsabilité Limitée (SARL), d’une Société par Actions Simplifiée (SAS) ou associé commanditaire dans une Société en Commandite Simple (SCS) ou une Société en Commandite par Actions (SCA).

En revanche, il ne peut pas être associé dans une Société en Nom Collectif (SNC) ni associé commandité dans une SCS ou une SCA sauf s’il a été autorisé à exercer une activité commerciale par le juge des tutelles au moment de l’émancipation ou par le président du tribunal judiciaire après l’émancipation (cf. II. A)).

B. Cas du mineur non-émancipé

Le mineur non-émancipé ne peut être associé dans une SNC ni associé commandité dans une SCS ou une SCA. En effet, les associés de ce type de sociétés ont la qualité de commerçants, ce qui n’est pas possible pour un mineur non-émancipé.

En revanche, un mineur non-émancipé, tout comme le mineur émancipé, peut être associé d’une Société Anonyme (SA), d’une Société à Responsabilité Limitée (SARL), d’une Société par Actions Simplifiée (SAS) ou associé commanditaire dans une SCS ou une SCA.

A cet égard, il est précisé que le mineur non-émancipé qui veut effectuer des apports à la société qu’il crée ou qu’il rejoint doit respecter plusieurs règles, selon le type d’apports.

De plus, le mineur non-émancipé ne peut agir seul.

Il existe une dualité de traitement selon que le mineur non-émancipé est sous administration légale ou sous tutelle :

  • Si le mineur non-émancipé est sous administration légale : ses parts sociales ou actions sont souscrites en son nom par son représentant légal (par exemple, ses parents), étant rappelé que si l’autorité parentale est exercée par les deux parents, chacun d’entre eux est un administrateur légal du mineur. Selon le type d’apports et leur conséquence sur le patrimoine du mineur, le ou les administrateurs légaux peuvent être contraints de solliciter l’autorisation préalable du juge des tutelles.

A noter que lorsque l’un des deux parents, également associé, veut effectuer un apport en nature (sur lequel il ne peut voter ni personnellement ni en qualité de mandataire), il ne peut pas non plus représenter son enfant non-émancipé, l’autre parent devant solliciter une autorisation du juge des tutelles pour voter pour le mineur.

  • Si le mineur non-émancipé est sous tutelle : là encore, ses parts sociales ou actions sont souscrites en son nom par son tuteur en tant que représentant légal (un mineur est sous tutelle en cas de décès de ses parents ou de retrait de leur autorité parentale). Selon le type d’apports et leur conséquence sur le patrimoine du mineur, le tuteur peut être contraint de solliciter l’avis préalable du conseil de famille ou l’autorisation du juge des tutelles.

Si le mineur non-émancipé a au moins 16 ans, il peut créer une société unipersonnelle, dont il sera l’associé unique et dirigeant, c’est-à-dire :

  • Une Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL), ou
  • Une Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU).

Toutefois, pour ce faire, il doit obtenir l’autorisation de ses parents, de son administrateur légal avec l’accord du juge des tutelles ou du conseil de famille sous la forme d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié.

Cet accord doit lister les actes d’administration que le mineur non-émancipé, en sa qualité de dirigeant et associé unique, peut effectuer seul.

En revanche, le mineur non-émancipé ne peut pas réaliser seul des actes de disposition (vente, achat, donation, etc.).

En résumé :

Toi, mineur (eh oui, on tutoie si facilement les mineurs !), es-tu émancipé ou non ?

En fonction, ce sera plus ou moins simple pour toi de lancer ton business !

Tu es mineur émancipé ?

  • Tu peux être entrepreneur individuel.
  • Tu peux disposer du statut d’auto-entrepreneur et effectuer seul les actes d’administration nécessaires à la création et à la gestion de ta micro-entreprise.
  • Tu peux exercer une profession libérale non règlementée, artisanale, agricole et/ou commerciale.
  • Tu peux être associé et dirigeant de sociétés dans lesquelles les associés n’ont pas la qualité de commerçants.
  • Sauf autorisation préalable, tu ne peux pas être associé dans une SNC ni associé commandité dans une SCS ou une SCA.

Tu n’es pas-émancipé ?

  • Tu ne peux pas être entrepreneur individuel.
  • Tu ne peux pas créer une micro-entreprise.
  • Tu peux uniquement diriger et être propriétaire d’une société unipersonnelle (EURL ou SASU).
  • Tu peux être associé de sociétés dans lesquelles les associés n’ont pas la qualité de commerçants donc tu ne peux pas être associé dans une SNC ni associé commandité dans une SCS ou une SCA.

Il est donc possible pour un mineur de devenir entrepreneur mais sous conditions !

Aujourd’hui, plus que jamais, l’entrepreneuriat a le vent en poupe et il ne faudrait pas que ces règles, qui peuvent sembler restrictives, freinent l’envie d’entreprendre de nos jeunes.

Peut-être aurons-nous l’occasion d’assister à un assouplissement de l’accès à la création d’entreprise pour les mineurs qui sont de plus en plus nombreux à vouloir se lancer dans cette aventure.

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