L’été (2014) fut chaud – 1ère partie : le droit de préférence du preneur commercial

Alors qu’une partie de la France n’a pas été sevrée de soleil cet été, loin s’en faut, une certaine fièvre législative a enflammé les mois de juin et juillet 2014.

En particulier, deux lois importantes sont intervenues, à savoir la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (dite loi « Pinel »), qui a notamment modifié le droit des baux commerciaux (dont l’influence sur le droit des baux dérogatoires au statut des baux commerciaux a été évoquée ici) et la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (dite loi « ESS »).

Ces deux textes ont un point commun, en ce qu’ils ont chacun institué, dans des processus de vente (d’un bien immobilier pour la loi Pinel, d’une entreprise pour la loi ESS), l’intervention préalable de « tiers » aux contrats de cession, le terme « tiers » étant pris dans le sens de l’article 1165 du code civil (étranger aux « parties contractantes »).

Lesdits « tiers » (le preneur commercial dans la loi Pinel et les salariés de l’entreprise dans la loi ESS) disposent désormais respectivement d’un droit de préférence et d’un droit d’information préalable.

La première partie de cet article s’attache à un rapide tour d’horizon du droit de préférence du preneur commercial, en cas de vente des locaux loués (article L.145-46-1 du Code de Commerce).

La seconde partie sera relative à l’information préalable due aux salariés en cas de cession du fonds de commerce ou de la majorité des titres de l’entreprise (articles L.23-10-1 à L.23-10-12 et L.141-23 à L.141-32 du Code de Commerce).

Le législateur a donc institué une nouvelle étape (facultative, on le verra) dans le processus de vente des murs d’un local commercial occupé.

Le propriétaire-bailleur qui envisage de vendre ledit local doit en effet, dans certains cas, offrir la primeur de l’offre de vente à son preneur.

I. Quelles cessions sont concernées ?

Ce droit est applicable à toute cession d’un local commercial « intervenant » à compter du 18 décembre 2014 : la notion d’ « intervention » de la cession est assez floue (signature du compromis ? signature de l’acte authentique de cession ?) et il est donc conseillé de computer l’ensemble des délais dès à présent pour tout processus de cession déjà initié.

Egalement, certaines cessions peuvent être réalisées sans que le droit de préférence ne soit mis en œuvre.

Il s’agit :

  • pour les locaux sis dans un ensemble commercial :

** de vente unique portant sur plusieurs locaux situés dans le même ensemble,

** de vente d’un local commercial à l’un des copropriétaires dudit ensemble,

  • pour tous autres locaux :

** de toute vente unique portant sur des locaux commerciaux distincts ;

** d’une cession globale d’un immeuble comprenant le local commercial concerné,

** de la cession d’un local au conjoint du bailleur ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.

Il est également à noter que le droit de préférence n’est pas d’ordre public : aussi, des dispositions particulières du bail commercial, de son acte de renouvellement ou encore d’un avenant, pourraient en écarter l’application, quel que soit le type de vente, voire l’aménager, notamment pour prévoir que le preneur conserve une faculté de substitution dans l’acquisition (ce que les textes ne prévoient pas).

II. Comment ça se passe ?

Si le propriétaire bailleur d’un local commercial souhaite céder celui-ci, il en informera son preneur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (LRAR), ou remise en main propre contre récépissé ou émargement.

Cette information comprendra, à peine de nullité :

–          les dispositions des 4 1ers alinéas de l’article L.145-46-1 du code de commerce

–          le prix de cession du local concerné ;

–          les conditions de la vente envisagée : quant à savoir de quelles conditions il s’agit, le texte ne le précise pas, ce qui laisse une marge d’interprétation énorme aux juges chargés de trancher des litiges sur ce point.  L’idéal serait de soumettre un projet de compromis complet, ce qui ne sera pas toujours possible, matériellement.

L’information faite au preneur vaudra offre de vente à son profit, et il disposera d’un délai d’un mois pour se positionner.

S’il accepte cette offre, il en fera part, par écrit, au bailleur, en précisant s’il souhaite recourir à un emprunt bancaire pour financer l’acquisition.

A compter de sa réponse au bailleur, le preneur dispose de deux mois pour conclure la cession, et de quatre mois s’il sollicite un crédit.

Si les délais sont dépassés, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente sera « sans effet ».

Les délais sont donc relativement courts : le preneur devra être particulièrement diligent et faire jouer à plein, si besoin, le délai d’un mois qui lui est donné pour répondre à son bailleur.

Si le preneur commercial ne donne pas suite, mais que le propriétaire bailleur modifie, en cours de cession, les conditions et le prix dans un sens plus avantageux pour l’acquéreur, le propriétaire bailleur ou le notaire chargé de la vente doit reprendre le processus d’information au preneur commercial, qui dispose de nouveau d’une préférence, exerçable dans les conditions évoquées ci-dessus.

Là encore, on peut s’interroger sur les conditions « plus avantageuses » qui seraient concédées : si lesdites conditions n’étaient pas mentionnées dans la première notification faite au preneur, leur modification dans le sens de l’acquéreur entraîne-t-elle automatiquement une ré-ouverture du droit de préférence ?

Les tribunaux seront probablement amenés à trancher ce point.

III. Quelle sanction ?

Les seules nullités qui semblent être sanctionnées sont :

–          celle liée au contenu de l’information à communiquer au preneur ; la nullité affecte semble-t-il la seule information ;

–          celle liée à l’information en cas de conditions et prix « plus avantageux » proposés à l’acquéreur : la nullité de la vente serait alors encourue.

Aucune sanction spécifique n’est évoquée au cas où l’information ferait purement et simplement défaut. La logique des sanctions voudrait que la vente soit elle-même annulable, mais rien n’étant précisé, il ne peut en être ainsi, selon le principe « pas de nullité sans texte ».

Dans d’autres types de cession, la jurisprudence a dégagé un principe d’annulation de l’opération effectuée en fraude des droits du titulaire d’un pacte de préférence si, au moment de la vente, l’acquéreur avait connaissance de l’existence d’un pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Les tribunaux pourraient s’inspirer de cette règle, ce qui obligerait l’acquéreur à se substituer au propriétaire bailleur dans l’information du preneur.

IV. Question subsidiaire : cumul avec un droit de préférence contractuel

Il arrive que des baux commerciaux comprennent déjà une clause octroyant au preneur un droit de préférence sur la vente des murs des locaux concernés.

Faudra-t-il procéder à la purge des deux droits de préférence ou seule la purge du droit de préférence « légal » suffira ?

Le diable se trouvant dans les détails, il est probable que les conditions de mise en œuvre du droit de préférence contractuel diffèrent, même légèrement, du droit de préférence légal.

On ne saurait trop conseiller dans ce cas de purger les deux en même temps, autant que faire se peut.

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